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Webinar « Varroa 2.0 » sur la recherche de nouvelles molécules – Suite des questions

Le 13 juin 2023, Rémi Padé, Responsable Innovation Abeille chez Véto-pharma a présenté un webinar sur nos projets de recherche liés au varroa, et notamment l’identification de nouvelles molécules pour élaborer les traitements de demain.

Nous avons reçu de nombreux témoignages positifs lors de la diffusion de ce webinar, et nous vous en remercions. Nous avions à cœur de vous montrer les projets sur lesquels l’équipe Véto-pharma œuvre au quotidien, et ainsi vous initier à la longue aventure que constitue la découverte de nouvelles molécules, le développement et l’enregistrement d’un nouveau médicament.

Nous vous l’avions promis, voici les la suite des réponses de Rémi aux questions (et remarques) auxquelles nous n’avions pas pu répondre lors du webinar organisé le 13 juin 2023.

Pour rappel, un article sur le webinar avec le lien de replay est disponible sur ce lien.

« Vous n’avez cité aucun nom de « molécule prometteuse », quel dommage ! »

La découverte d’une nouvelle molécule est un long processus qui demande beaucoup de temps et d’investissement. Ces découvertes sont soumises à la propriété intellectuelle et vous comprendrez notre discrétion sur le sujet.

De plus, diffuser le nom d’un actif identifié entrainerait fort probablement une vague de tests sur le terrain réalisés avec des dosages aléatoires, avec des risques de résidus dans les produits de la ruche, une efficacité insuffisante, ou une mortalité pour les abeilles. Les études cliniques menées lors de l’enregistrement d’un médicament permettent de valider la posologie et fréquence d’utilisation du médicament, afin de garantir l’innocuité pour l’abeille, l’efficacité contre varroa, et l’absence de résidus au-delà des seuils fixés.

« En quoi consiste la mise en couveuse des boîtes lors des essais ? »

La mise en étuve permet de maintenir les abeilles et les varroas dans un environnement proche de celui de la ruche (température et humidité). Le but est de ne pas impacter la survie des abeilles, des varroas et donc conserver des paramètres proches de ceux de l’intérieur de la ruche. De plus, il s’agit de notre première phase de discrimination sur du matériel biologique (abeille / varroa) et la mise en étuve nous permet de limiter les biais d’interprétation.

« J'ai bien compris que la fréquence des traitements flash est à définir par nos soins, cependant auriez-vous une préconisation de planning sur l'année ? »

Très bonne question. Les traitements Flash seront à effectuer en fonction de votre itinéraire techniques (miellées différentes, création d’essaims…). Ces traitements ne pouvant pas être utilisés en période de récolte de miel pour la consommation, cela dépendra donc des cas. Un dépistage en amont d’un traitement flash est également un élément vous permettant de définir la réalisation (ou non) de ce traitement.

Le traitement flash en amont du traitement de fin de saison est un élément très intéressant car il permet de diminuer rapidement le nombre de varroas et de laisser ensuite laisser le traitement de fin de saison agir pendant plusieurs semaines, afin de couvrir plusieurs cycles de couvain. Les colonies seront déparasitées plus rapidement et les abeilles d’hiver nouvellement nées seront de meilleure qualité (moins de virus, plus de corps gras… et donc une meilleure longévité pour être plus en forme lors du redémarrage de printemps et des premier butinages).

« Jolis graphs pour les présentations des screening, mais vous n'avez pas présenté les résultats du témoin positif amitraze. Est-ce secret ? »

Les résultats concernant l’amitraz comme témoin positif ont été présentés lors du webinar. Nos résultats, identiques chaque année, témoignent de son efficacité et démontrent que cette molécule peut être utilisée comme témoin positif sur nos ruchers.

« Pourquoi vous avez choisi les Etats-Unis pour développer votre nouveau médicament ? Quelles perspectives pour la France ? »

L‘idée de ce traitement est venue en observant les pratiques des apiculteurs professionnels.. Nous voulions proposer une alternative légale, facile et rapide d’utilisation, qui ait été testée pour l’abeille selon les standards pharmaceutiques.

Il faut savoir que les durées d’enregistrement varient selon les pays – un enregistrement est généralement plus rapide aux Etats-Unis, c’est pourquoi ils sont le premier pays à avoir obtenu l’autorisation pour ce nouveau traitement.

Mais rassurez-vous, notre équipe travaille activement afin de pouvoir le proposer à un maximum d’apiculteurs à travers le monde. Nous ne pouvons en revanche pas donner de date de disponibilité, puisque cela dépend de la durée d’évaluation du dossier par les autorités locales compétentes.

« Quid des résistances à l'amitraz ? »

La résistance à un principe actif ne se développe pas à la même vitesse ni à la même échelle, selon les propriétés et l’utilisation dudit principe actif. Même si l’efficacité est moins uniforme que dans les années 2000, nous n’observons aujourd’hui pas de chute massive et généralisée de l’efficacité des médicaments à base d’amitraz, comme ça a pu être le cas pour le tau-fluvalinate, le coumaphos ou la fluméthrine.1-2-3-4

L’amitraz reste en grande majorité efficace, même après des décennies d’utilisation massive, en France et dans de nombreux pays dans le monde.4-5

Des données suggèrent que la résistance à l’amitraz pourrait être bien moins persistante que la résistance à d’autres acaricides chez le varroa :

  • Dans une étude, l’augmentation de la CL50 de l’amitraz (concentration létale devant tuer 50 % de la population de varroas), après des décennies d’utilisation, était largement inférieure à l‘évolution de la CL50 d’autres acaricides.3
  • Dans d’autres études, il ressort que la réduction de l’efficacité d’un traitement à base d’amitraz au cours du temps est beaucoup moins prononcée par rapport à d’autres principes actifs.6-2

La résistance à l’amitraz se développe également plus lentement chez d’autres espèces.7

Il n’existe aujourd’hui pas de période de réversion « officielle » pour l’amitraz.​ Des résultats d’étude semblent montrer un retour au génotype sensible (sans mutation) relativement rapide après l’utilisation de l’amitraz.8

Les propriétés instables de l’amitraz (faible accumulation dans la cire) ne favorisent pas l’exposition du varroa de manière prolongée au principe actif9, il est probable que la période de réversion soit bien plus courte que pour le tau-fluvalinate.9 Cela restera à confirmer par des études dédiées, en mesurant le niveau de résistance de mêmes ruches pendant plusieurs années.​

En conclusion, les études actuelles sur la résistance à l’amitraz montrent des indicateurs favorables à l’utilisation et à la pérennité de cet actif dans l’arsenal thérapeutique apicole.

« La revue Santé de l'abeille vient de publier des résultats très décevants pour l'amitraz. Qu'en pensez-vous ? »

Les pourcentages d’efficacité et cinétiques lors des traitements varient selon les années, tout comme les conditions météorologiques et les niveaux d’infestation Varroa. Nous ne sommes pas inquiets concernant l’avenir de l’amitraz dans la lutte contre Varroa. C’est une molécule qui se dégrade facilement et qui laisse relativement peu de résidus dans les cires10 – donc un risque plus limité d’exposition continue du varroa à l’actif – et les premiers indices tendent vers une période de réversion courte.11-12-13-14 Cela restera à confirmer par des études dédiées.

Une chose est sûre, il est de plus en plus difficile de lutter contre Varroa, et il faut avoir une approche plus pragmatique qu’avant :

  • Ne pas se reposer uniquement sur un principe actif, et utiliser plusieurs actifs au cours d’une même année,
  • Effectuer des rotations ponctuelles interannuelles (rythme à définir avec votre vétérinaire),
  • Retirer les traitements des ruches à la fin de leur période de traitement ! C’est très important, en laissant les lanières en place tout l’hiver, vous contribuez au risque de développement des résistances,
  • Suivre ses niveaux d’infestation,
  • Renouveler les cires, a minima tous les 3 ans (ou 30 % chaque année),
  • Inclure des méthodes biotechniques en cours d’année afin d’abaisser l’infestation varroa en cours de saison.

La méthode du « un seul traitement par an à la même date » a montré ses limites, il faut maintenant mettre en place de vraies stratégies et anticiper les actions à intégrer au parcours des colonies.

Pour aller plus loin, nous vous invitons à :

« Pour les produits que j'ai pu essayer, seul l'acide oxalique a un effet flash. Vous préconisez un traitement de 6 semaines pour la molécule 4. Ne pensez-vous pas qu'il faudrait privilégier cet effet flash ? Car j'estime justement que les traitements avec AMM ne permettent pas un traitement automnale efficace... »

Un traitement flash est un traitement qui met à disposition le principe actif de manière rapide, sur une courte période de temps. En d’autres termes, il va cibler les varroas dits « phorétiques » (présents sur les abeilles adultes) mais pas ceux présents dans le couvain (sauf acide formique). Or, on sait que ces derniers représentent la majorité des varroas présents dans la colonie. Les traitements flash doivent donc être utilisés en l’absence de couvain ou en cours de saison avec la création d’un arrêt de ponte artificiel (encagement de reine par exemple) ; ou bien être utilisés dans le but d’abaisser l’infestation, dans l’attente d’un traitement de longue action.

Idéalement, il est tout à fait possible (en théorie) de développer un produit de longue action avec un effet « flash » en début de traitement. C’est toute la difficulté du développement de nouveaux médicaments. De manière alternative, pour traiter en fin de saison, on peut appliquer un médicament « flash », puis un traitement de longue action (6 à 10 semaines). Cela permet d’abaisser l’infestation en attendant que le traitement de longue action puisse accomplir son rôle, sur plusieurs semaines.

« Vous n'avez aucun intérêt économique à nous démontrer que les HE sont efficaces !!! »

Nous n’avons aucun intérêt à vous présenter nos résultats de recherche, puisque la confidentialité en R&D est très importante. Les huiles essentielles testées ne présentent pas de réel intérêt pour le moment mais notre porte n’est pas fermée à tenter de trouver de nouvelles solutions, et à tester d’autres HE non évaluées jusqu’à présent.

Nous voulions surtout sensibiliser les apiculteurs sur le fait que « naturel » n’est pas forcément synonyme de « sûr », et que pour être efficace ces huiles essentielles doivent être utilisées à des concentrations bien trop toxiques pour les abeilles, rendant impossible leur utilisation et le développement d’un médicament à ce stade, selon nos travaux exploratoires.

« Avez-vous testé l'élimination de males couplée à un médicament ? Avez-vous testé les plateaux happykeeper qui permettent la chute du varroa, couplé ou non avec médicament. »

Pas de tests mis en place concernant ces solutions. En revanche, le piégeage dans le couvain de mâle est une technique efficace, à condition d’être parfaitement gérée dans le temps. Il est tout à fait possible de réaliser un traitement à postériori. Je ne recommanderais absolument pas un traitement flash en période de piégeage de couvain de mâle, car cela rendrait les varroas non disponibles au traitement.

« Est-il envisageable d'utiliser un traitement Varroa et l'hyperthermie en même temps pour arriver à 100 % de mortalité des varroas ? »

Cela dépendrait du comportement de la molécule aux températures élevées (stabilité, dégradation, efficacité…). Il est toujours difficile de prévoir le comportement en combinaison et c’est pour cela que nous préconisons toujours de n’utiliser qu’une seule solution à la fois. Nous ne pouvons donc pas recommander cette pratique, qui pourrait présenter un risque pour les colonies, le succès du traitement, et donc la gestion de varroa. De notre côté, nous n’avons pas réalisé d’expérimentation particulière sur l’hyperthermie.

Conclusion

Vous l’aurez compris à travers notre webinar et série de questions / réponses, mettre sur le marché un nouveau médicament est un processus de longue haleine. Chez Véto-pharma, nous travaillons activement sur deux pistes :

  • Identification de nouveaux principes actifs (molécules) non utilisés jusqu’à présent en apiculture
  • Reformulation d’actifs existants pour de nouvelles formes d’application.

Cette deuxième partie est la plus « facile » (avec beaucoup de guillemets – c’est déjà un long process), puisque les dossiers d’évaluation du principe actif sont déjà constitués, ce qui permet de mettre un médicament sur le marché de manière un peu plus rapide (seulement quelques années).

Identifier de nouveaux actifs est en revanche un processus plus long, mais crucial pour l’avenir de la filière apicole. Nous sommes confiants quant à notre capacité à pouvoir fournir de nouveaux actifs à la filière d’ici quelques années – notre équipe vient d’ailleurs d’identifier une nouvelle famille d’actifs très prometteuse et compatible avec l’apiculture biologique.

Il faudra encore un peu de patience et de nombreuses études avant de pouvoir l’utiliser dans vos ruches !

1- Hubert, Jan, et al. “Point mutations in the sodium channel gene conferring tau-fluvalinate resistance in Varroa destructor.” Pest management science 70.6 (2014): 889-894. Test de sensibilité et génotypage de varroas issues de ruches de République Tchèque. Pas d’étude statistique disponible, mais démonstration de génotypes différents entre les populations d’acariens sensibles et résistantes.

2- Sara Moreno Martí et al. – Evaluacion del impacto de los tratamientos acaricidas prolongados sobre la evolucion de la resistencia en Varroa destructor – Congreso Nacional de Apicultura de Malaga – 2023 – Trois groupes de traitement : Apistan®, Checkmite® et Apitraz®. Tests biologiques et techniques moléculaires utilisés pour évaluer les niveaux de résistance à chaque acaricide à trois moments différents (avant le premier traitement, un an et deux ans après le traitement initial). 

3- Rodríguez-Dehaibes, SóstenesR., et al. “Resistance to amitraz and flumethrin in Varroa destructor populations from Veracruz, Mexico.” Journal of Apicultural Research 44.3 (2005): 124-125. Essai de sensibilité en laboratoire LC50 (concentration létale 50%), testant la sensibilité à l’amitraz et au tau-fluvalinate des varroas issus de ruches au Mexique. Pas d’étude statistique, mais comparaison des valeurs LC50 avant/après.

4- Rinkevich, Frank D. “Detection of amitraz resistance and reduced treatment efficacy in the Varroa Mite, Varroa destructor, within commercial beekeeping operations.” PLOS One 15.1 (2020): e0227264. Essai laboratoire et terrain mené aux Etats-Unis pour tester la sensibilité des varroas à l’amitraz.

5- Evans, Jay D., and Steven C. Cook. “Genetics and physiology of Varroa mites.” Current opinion in insect science 26 (2018): 130-135. Revue littéraire sur la résistance aux acaricides, et sur la biologie, physiologie et génétique du varroa.​

6- Elzen, Patti J., et al. “Control of Varroa jacobsoni Oud. resistant to fluvalinate and amitraz using coumaphos.” Apidologie 31.3 (2000): 437-441. Sensibilité en laboratoire des acariens varroa à l’amitraz et au tau-fluvalinate issus de ruches aux Etats-Unis, et efficacité sur le terrain des traitements contre la varroose. Différences significatives (valeur p < 0,05) rapportées pour l’efficacité attendue dans l’essai terrain pour l’amitraz, le tau-fluvalinate, mais pas le coumaphos. Pas d’étude statistique disponible pour l’essai en laboratoire, mais la mortalité des varroas (résultats des essais) est indiquée.

7- Jonsson NN, Hope M (2007) Progress in the epidemiology and diagnosis of amitraz resistance in the cattle tick Boophilus microplus. Vet Parasitol 146(3):193–198.  https ://doi.org/10.1016/j.vetpa r.2007.03.006​

8- Hernández-Rodríguez, Carmen Sara, et al. « Resistance to amitraz in the parasitic honey bee mite Varroa destructor is associated with mutations in the β-adrenergic-like octopamine receptor. » Journal of Pest Science (2021): 1-17.​

9- Milani, Norberto, and Giorgio Della Vedova. « Decline in the proportion of mites resistant to fluvalinate in a population of Varroa destructor not treated with pyrethroids. » Apidologie 33.4 (2002): 417-422. “Dans les zones où des souches de V. destructor résistantes aux pyréthrinoïdes sont présentes, en supposant une diminution par dix en trois ans, les traitements avec ces acaricides pourraient être efficaces s’ils sont utilisés tous les 4-6 ans et devraient être rapidement suivis d’un autre traitement pour éliminer autant d’acariens résistants que possible, avant que des échanges d’acariens avec d’autres colonies n’aient lieu.”​ “L’influence de la réversion sur la sélection d’acariens résistants est négligeable si les traitements ont lieu chaque année. Dans les régions où les acariens résistants sont présents, les traitements aux pyréthrinoïdes contre V. destructor ne peuvent être efficaces que s’ils sont appliqués à intervalles de plusieurs années.”​

10- Serra-Bonvehí J., Orantes-Bermejo J., 2010, Acaricides and their residues in Spanish commercial beeswax, Pest Management Science 66(11):1230-5, November 2010

11- Rodríguez-Dehaibes, SóstenesR., et al. “Resistance to amitraz and flumethrin in Varroa destructor populations from Veracruz, Mexico.” Journal of Apicultural Research 44.3 (2005): 124-125. Essai de sensibilité en laboratoire LC50 (concentration létale 50%), testant la sensibilité à l’amitraz et au tau-fluvalinate des varroas issus de ruches au Mexique. Pas d’étude statistique, mais comparaison des valeurs LC50 avant/après

12- Elzen, Patti J., et al. “Control of Varroa jacobsoni Oud. resistant to fluvalinate and amitraz using coumaphos.” Apidologie 31.3 (2000): 437-441. Sensibilité en laboratoire des acariens varroa à l’amitraz et au tau-fluvalinate issus de ruches aux Etats-Unis, et efficacité sur le terrain des traitements contre la varroose. Différences significatives (valeur p < 0,05) rapportées pour l’efficacité attendue dans l’essai terrain pour l’amitraz, le tau-fluvalinate, mais pas le coumaphos. Pas d’étude statistique disponible pour l’essai en laboratoire, mais la mortalité des varroas (résultats des essais) est indiquée.

13- Sara Moreno Martí et al. – Evaluacion del impacto de los tratamientos acaricidas prolongados sobre la evolucion de la resistencia en Varroa destructor – Congreso Nacional de Apicultura de Malaga – 2023 – Trois groupes de traitement : Apistan®, Checkmite® et Apitraz®. Tests biologiques et techniques moléculaires utilisés pour évaluer les niveaux de résistance à chaque acaricide à trois moments différents (avant le premier traitement, un an et deux ans après le traitement initial).

14- Jonsson NN, Hope M (2007) Progress in the epidemiology and diagnosis of amitraz resistance in the cattle tick Boophilus microplus. Vet Parasitol 146(3):193–198.  https ://doi.org/10.1016/j.vetpa r.2007.03.006​