par Véto-pharma L’hiver constitue la phase la plus exigeante sur le plan physiologique du cycle annuel pour les colonies d’abeilles. Avec la raréfaction du couvain et sans possibilité de butiner, la survie de la colonie repose entièrement sur ses réserves internes et sur l’efficacité énergétique de la grappe. La colonie doit maintenir un noyau thermique stable d’environ 35 °C, quelles que soient les conditions extérieures, reposant exclusivement sur le miel stocké et la chaleur métabolique produite par la grappe. Même si ces réserves peuvent être soutenues par un nourrissement efficient (entre besoins et investissement).
Trois piliers interdépendants conditionnent le succès de l’hivernage : les réserves énergétiques, la gestion de l’espace, et l’état sanitaire. Ces facteurs déterminent directement la capacité de la colonie à conserver suffisamment d’énergie pour rester viable jusqu’au printemps suivant. L’optimisation de ce triptyque est aujourd’hui au cœur des stratégies apicoles modernes visant à réduire les pertes hivernales .1,2
La grappe hivernale représente l’unité anatomo-fonctionnelle assurant la thermorégulation. Les ouvrières forment une sphère dense dont le volume varie selon la température ambiante, concentrant la chaleur dans le noyau central. La chaleur métabolique résulte de l’oxydation des glucides issus du miel, principalement via la contraction active des muscles thoraciques, un phénomène fortement énergivore.3
La taille de la colonie et la condition physiologique des ouvrières sont déterminantes. Dans une ruche Dadant, une population hivernante de 15 000 à 20 000 abeilles adultes en début d’hiver permet de conserver une masse thermique suffisante pour un maintien efficace de la chaleur, élément crucial dans les régions tempérées. Des études montrent que les taux de survie augmentent significativement au-delà de ce seuil, tandis que des grappes plus petites sont plus vulnérables au froid et à la famine4-6 et nécessitent davantage de suivi (nourrissement et surveillance).
Les corps gras jouent un rôle double de réserve énergétique et de régulation immunitaire ; leur épuisement est fortement corrélé aux échecs d’hivernage.1,7 Plus la physiologie des abeilles d’hiver est robuste, plus la colonie présente une résilience accrue face aux contraintes hivernales.

À la fin de l’été et au début de l’automne, la raréfaction du nectar et du pollen déclenche la préparation de la colonie à l’hivernage. Les mâles, devenus inutiles, sont expulsés afin de limiter la dépense énergétique. Parallèlement, la grappe se resserre et la population décline progressivement, remplacée par des abeilles d’hiver à longévité prolongée.
Dans une ruche Dadant, il est recommandé de disposer d’un minimum de 15 à 20 kg de miel pour l’hiver, correspondant à trois à quatre cadres entièrement operculés sur les deux faces (4–5 kg par cadre). Cette recommandation, issue d’études menées en zones tempérées, peut être majorée dans les régions du nord ou lors d’hivers rigoureux.3,4
La consommation des réserves est fortement influencée par les variations de température, qui forcent la grappe à se disloquer et se reformer, augmentant ainsi la dépense énergétique.3 Le rôle de l’apiculteur est double : optimiser l’étanchéité et la compacité de la ruche pour limiter les pertes de chaleur (retrait des cadres vides, mise en place de partition afin de resserrer la grappe) et vérifier la présence de réserves suffisantes, en complétant si nécessaire par un nourrissement (sirop concentré à l’automne, candi en hiver). Cette stratégie garantit un accès facile au miel lorsque la mobilité est réduite par le froid.
L’apport de pollen ou de substituts protéiques peut être bénéfique si les ressources florales automnales sont limitées, car ces compléments soutiennent les systèmes antioxydants et prolongent la longévité des abeilles d’hiver.7,8 Il est nécessaire de considérer la supplémentation protéique assez tôt car l’impact se fera sentir sur 4 à 6 semaines après sa mise à disposition. Le suivi des réserves par pesée régulière ou balances de ruche permet d’intervenir avant qu’une disette ne compromette la continuité énergétique.9

La gestion spatiale d’une ruche Dadant doit débuter juste après la dernière miellée (cet exemple s’applique également pour d’autres types de ruche à cadres mobiles). Il est impératif de retirer les hausses, après léchage par les abeilles, afin d’éviter des volumes inutiles à chauffer. Le resserrement progressif de la colonie, passant d’environ huit cadres à cinq ou six selon la force de la population, permet de concentrer la grappe et de réduire l’air à thermoréguler. Cette consolidation doit être graduelle et adaptée à la vigueur de la colonie, tout en veillant à corriger les défauts de structure ou d’isolation susceptibles d’entraîner des déperditions thermiques.4
Une utilisation efficace de l’espace facilite également l’accès aux réserves. Les cadres de miel doivent être placés directement à proximité de la grappe pour en permettre la consommation. Les cadres vides doivent être retirés afin d’éviter un étalement excessif, source de perte de cohésion thermique. La réduction de l’entrée après la récolte limite l’accès aux prédateurs et aux rongeurs en hiver, tout en préservant la chaleur interne. Parallèlement, une ruche bien ajustée, aux parois épaisses et bien calfeutrées, réduit les courants d’air et les pertes de chaleur.10
Le maintien de l’équilibre entre chaleur et humidité est crucial pour un hivernage réussi. Une isolation efficace conserve la chaleur, tandis qu’une aération contrôlée, par exemple via un plancher grillagé muni d’une trappe amovible, permet d’éviter la condensation excessive, principale cause d’humidité et de refroidissement. Ce compromis thermique et hygrométrique assure un microclimat sec et stable, favorable à la santé de la colonie durant l’hiver.7
La réussite de l’hivernage dépend autant de la santé de la colonie que de son alimentation et de son habitat. Le contrôle du Varroa destructor avant l’émergence des abeilles d’hiver est primordial, car les individus parasités présentent des corps gras appauvris et une durée de vie réduite. Les traitements automnaux doivent coïncider avec la production de ces abeilles longévives pour garantir leur robustesse physiologique.
Les approches de lutte intégrée (IPM*), combinant méthodes populationnelles et médicamenteuses, constituent toujours la base d’une préparation hivernale durable.2,11 L’application raisonnée des acaricides, l’interruption de ponte et l’homogénéité génétique dans l’exploitation contribuent à diminuer significativement la mortalité hivernale.
La survie hivernale des colonies d’abeilles mellifères repose sur une interaction étroite entre nutrition, structure de la colonie et santé. Une gestion énergétique optimale découle non d’une seule mesure, mais d’une compréhension intégrée des interactions entre réserves, espace et conditions sanitaires. Une surveillance proactive, associée à un nourrissement raisonné et à une maîtrise rigoureuse du parasitisme, accroît la résilience face aux stress hivernaux. Ainsi réduire les taux de pertes et de non-valeurs durant cette période.
Le maintien de ces trois piliers assure non seulement la conservation de l’énergie, mais renforce également la vitalité de la colonie au printemps suivant, transformant la période hivernale d’un défi de survie en un tremplin pour le renouveau printanier.
Références:
par Juan Molina
par Véto-pharma