La famine saisonnière chez les abeilles : un paradoxe bien réel

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Aussi paradoxal que cela puisse paraître, parler du risque de famine dans des colonies d’abeilles disposant de trois hausses pleines de miel peut sembler contradictoire. Pourtant, la disette saisonnière est un phénomène bien documenté, qui dépend du calendrier floral local et de la succession des floraisons. Même lorsque les ruches paraissent lourdes et bien approvisionnées, les abeilles peuvent souffrir de pénuries critiques si leur environnement immédiat ne leur offre pas de nectar et de pollen accessibles à des moments clés.

1. Les « trous de miellées » : des risques cachés en période d’abondance

Les « trous de miellées » ou périodes de pénurie de nectar surviennent souvent après la floraison printanière, lorsque les prochaines sources de nectar tardent à apparaître. Des événements climatiques comme la pluie prolongée, la sécheresse ou une chute soudaine des températures peuvent réduire les opportunités de butinage, obligeant les abeilles à consommer leurs réserves plus vite qu’elles ne peuvent les reconstituer. Le paradoxe devient alors évident : le miel peut être abondant dans les hausses, mais inaccessible ou insuffisant près du couvain, là où il est le plus nécessaire. Des études ont confirmé que des colonies peuvent s’effondrer par famine au printemps ou en été, même en présence de cadres de miel ailleurs dans la ruche.

La qualité et la diversité du pollen disponible sont également cruciales. Les monocultures et les pressions environnementales réduisent la variété du pollen, affaiblissant l’immunité et la résilience des abeilles. Sans accès à un pollen diversifié et de qualité, les abeilles peinent à élever un couvain sain et à résister au stress, les rendant plus vulnérables en période de pénurie. Certaines recherches ont montré que des nutriments spécifiques, comme certains stérols, sont essentiels au bon développement du couvain et à la santé de la colonie, et que les compléments alimentaires commerciaux ne répondent pas toujours à ces besoins.

2. Comment soutenir vos abeilles pendant les périodes de disette

Les apiculteurs doivent adopter une approche proactive et flexible. Les inspections régulières sont indispensables, non seulement pour vérifier le poids global de la ruche, mais aussi pour évaluer la répartition des réserves autour du couvain. La détection précoce de ruches légères, de cadres vides près du couvain ou de l’absence de couronne de miel / pollen doit entraîner une intervention immédiate. L’alimentation complémentaire avec du sirop de sucre ou des pâtes protéinées est souvent nécessaire pour combler les lacunes de floraison et soutenir le développement de la colonie. Il est tout aussi important de fournir une source d’eau propre et accessible, surtout en période chaude, pour aider les abeilles à transformer la nourriture et réguler la température de la ruche.

Comprendre le calendrier floral local et anticiper les périodes de pénurie peut faire une grande différence. Chaque rucher est unique, et le calendrier des flux de nectar varie selon le climat, le paysage et les pratiques agricoles. Négliger ces variables peut entraîner des pertes importantes, même dans des ruches apparemment prospères.

3. Points clés pour prévenir la famine saisonnière

  • Surveiller régulièrement le poids et les réserves de la ruche, surtout entre deux floraisons majeures.
  • Inspecter le couvain pour s’assurer de la présence d’au moins deux cadres de miel et d’une couronne de pollen et de miel.
  • Être prêt à nourrir avec du sirop de sucre ou des compléments protéinés dès les premiers signes de baisse des réserves ou de conditions de butinage défavorables.
  • Fournir une source d’eau propre et constante à proximité du rucher, particulièrement par temps chaud ou sec.
  • Se tenir informé du calendrier floral local et anticiper les creux en observant les plantes sauvages et cultivées.
  • Éviter de trop récolter le miel, en veillant à ce que les colonies conservent des réserves suffisantes pour faire face aux pénuries imprévues.
  • Favoriser ou planter une diversité de sources de pollen autour du rucher pour soutenir la diversité nutritionnelle et la résilience des colonies.

4. Gestion du varroa pendant les périodes de disette

Ces périodes de disette offrent également une opportunité stratégique pour la gestion du varroa. Lorsque l’élevage du couvain ralentit naturellement en raison du manque de ressources, le cycle de reproduction du varroa est perturbé, réduisant temporairement le nombre de cellules operculées où les acariens se reproduisent. Ce moment est idéal pour appliquer des stratégies de lutte intégrée (IPM), qu’il s’agisse de méthodes biotechnologiques (interruption du couvain, encagement de la reine, retrait du couvain mâle quand cela est possible) ou de l’utilisation judicieuse de médicaments vétérinaires contre Varroa.

Appliquer les traitements pendant ces périodes augmente leur efficacité, car moins d’acariens sont protégés dans le couvain operculé, rendant la population parasitaire plus vulnérable. En combinant vigilance nutritionnelle et contrôle du varroa, les apiculteurs renforcent la santé des colonies pendant les périodes critiques et améliorent leur résilience avant la miellée principale ou la préparation hivernale.

Réfèrences: 

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