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5 questions pour savoir si vos abeilles sont prêtes pour l’hiver

Table des matières

Phil Craft, ancien apiculteur d’Etat dans le Kentucky, est notre conseiller technique aux États-Unis. Il contribue occasionnellement à la revue Bee Culture. Nous lui avons demandé de partager avec vous 5 conseils pour réussir l’hivernage de vos colonies. Certains de ces conseils ont cependant été adaptés pour mieux correspondre à nos conditions climatiques et techniques apicoles françaises.

L’hiver peut être dur pour les abeilles. Les températures basses et le manque de ressources en nectar et en pollen en font une période difficile pour les colonies. Si les abeilles font face à ces difficultés depuis une éternité, notre rôle en tant qu’apiculteur est de les assister afin d’améliorer leur taux de survie et leur santé. Cet article présente 5 questions que vous devriez vous poser au début de l’automne afin de vous assurer que vos colonies soient prêtes à faire face au changement de saison.

Ma colonie a-t-elle une reine vigoureuse ?

Une colonie ne peut pas se préparer correctement pour l’hiver sans une reine présente et pondeuse à l’automne. Les abeilles naissant à l’automne sont essentielles à la survie de la colonie au cours de l’hiver. Ces jeunes « abeilles d’hiver », qui prendront le relai au terme des six semaines d’espérance de vie des ouvrières, se chargeront de repeupler la colonie au printemps. Ne vous inquiétez pas si vous ne voyez pas la reine. Il vous suffit d’observer la présence d’œufs ou même de jeunes larves, qui vous indique que la reine est présente et a pondu très récemment. Un couvain comprenant chaque stade du développement (œuf, larve et nymphe) est également un signe de bonne santé pour la colonie en général. Les colonies en mauvaise santé peinent à produire un grand nombre de nouvelles abeilles. À cette époque de l’année, la présence d’un large couvain est préférable.

Y-a-t-il assez d’abeilles dans mes ruches ?

La colonie devrait entamer l’hiver avec environ 5 cadres d’abeilles au minimum. C’est le minimum nécessaire pour la bonne formation de grappes pendant l’hiver (maintenir une bonne température et pour permettre à la grappe de se déplacer vers les réserves de miel. Même dans les meilleures conditions, la colonie va conserver uniquement les abeilles d’hiver et se dépeupler. Une grappe trop petite au début de l’hiver peut mener à la mort de la colonie toute entière avant l’arrivée du printemps ou au non-redémarrage de celle-ci. Il est préférable d’éliminer les colonies faibles en secouant les cadres afin que les abeilles (surtout les nourrices) puissent renforcer les colonies fortes du même rucher. Bien qu’il soit possible de mettre une petite colonie en hivernage, cette opération nécessite le maintien d’un équilibre délicat entre les réserves de nourriture, la densité de la colonie et la structure de la ruche.

Mes abeilles sont-elles en assez bonne santé ?

(En d’autres termes, porteuses du moins possible de parasites ou de maladies).

Nous savons que les abeilles porteuses de parasites ou de maladies ne vivent pas aussi longtemps que les abeilles saines. La plus grande menace pour la santé des abeilles vient, depuis plusieurs décennies, du varroa. En plus des dommages qu’elle cause directement, une infestation massive par le varroa peut empêcher le développement d’un couvain suffisant pour la survie de la colonie pendant l’hiver, et peut également diminuer la durée de vie des abeilles adultes. Les acariens sont également porteurs de virus qui peuvent nuire à la santé de la colonie. La première question que je pose lorsqu’un apiculteur me contacte après avoir perdu une colonie pendant l’hiver est : « Avez-vous fait un suivi d’infestation et un traitement contre le varroa ? » Trop souvent, les réponses sont « non » et « non ». Je ne prône pas les traitements préventifs systématiques ; la meilleure façon de faire est de dépister et de traiter si nécessaire. Certains trouvent le processus de dépistage rébarbatif et fastidieux, mais il ne faut pas pour autant s’en décourager. Des outils spécialisés, tel que le Varroa EasyCheck, peuvent vous faciliter la tâche. Si vous ne voulez pas utiliser de méthode à base d’alcool, les méthodes de dépistage à base de sucre glace ou de CO2 sont des alternatives possibles (bien que moins efficace dans le cas du sucre glace).

Lorsqu’un traitement s’avère nécessaire, utilisez un médicament spécifiquement conçu pour les abeilles, ayant obtenu une AMM « Autorisation de Mise sur le Marché ». Ces médicaments ont été formulés spécifiquement pour l’abeille, et ont été contrôlés et validés pour cet usage. Si, après un premier traitement en automne, un dépistage révèle que l’infestation n’est pas assez réduite, vous pouvez envisager un traitement d’hiver avec un médicament vétérinaire à base d’acide oxalique (entre novembre et janvier en fonction des année) pour réduire l’infestation avant le renouvellement de la colonie au printemps. L’acide oxalique utilisé à cette période peut s’avérer être un excellent traitement de fond pour faire chuter le niveau d’infestation. Trois traitements sont aujourd’hui disponibles en France pour cet usage.

Dois-je nourrir ma ruche ?

Les abeilles ont besoin d’assez de réserves de nourriture pour durer jusqu’au printemps. Dans les régions au climat tempéré, on conseille de laisser entre 25 et 40 kg de miel par ruche.

En plus du miel, les abeilles ont besoin de pollen. Le pollen est essentiel à l’élevage du couvain. Lorsque vous observez les réserves en miel, gardez donc un œil sur le pollen déjà accumulé et en court de stockage. Il existe un certain nombre de suppléments en protéines qui peuvent être utilisés en complément des sources naturelles de pollen. Ils peuvent être vendus sous forme de galettes (que l’on place sur la ruche), ou sous forme de poudre, qui peut être moulée en galettes ou administrée sèche. Les abeilles formeront des réserves de cette poudre et en consommeront également une partie immédiatement.

Si nécessaire, le nourrissement en sirop et en suppléments de pollen doit se faire à l’automne. Le nourrissement d’hiver reste une solution d’URGENCE, du type « mes abeilles vont mourir de faim si je ne fais rien ».

Dans les régions où la température peut atteindre les 15 °C ou plus en journée, on peut procéder à un nourrissement au sirop. Dans les régions plus froides, les abeilles ne quitteront pas la grappe pour aller chercher de la nourriture, rendant le nourrissement au sirop plus ou moins inutile. De plus, le sirop contient trop d’eau et les abeilles ont besoin de sortir car elle ne défèque pas dans la ruche. Nourrir en dessous de 15 °C peut augmenter le risque de maladie durant l’hiver. C’est pour cela que nous utilisons plutôt du candi pendant l’hiver (faible teneur en eau). On préfèrera positionner le candi directement sur les cadres, avec le nourrisseur retourné. Cela permet au candi de profiter de la chaleur et de l’humidité de la colonie pour se ramollir et facilite la prise de nourriture pour les abeilles.

En dernier recours, une méthode très ancienne et très simple de procéder à un nourrissement d’hiver est de mettre du sucre granulé sec sur le couvre cadre. Il s’agit clairement d’une solution extrême, mais un certain nombre d’apiculteurs m’ont affirmé avoir sauvé leurs ruches d’une mort certaine de cette façon. Sachez que la plupart des pertes de ruches dues à la malnutrition surviennent à la fin de l’hiver ou même au début du printemps, lorsque la ruche débute l’élevage de son couvain et épuise ses réserves. Gardez un œil sur vos ruches et leurs réserves à l’approche du printemps.

Ma ruche est-elle correctement ventilée ? Ai-je besoin de l’envelopper ou de l’isoler pour l’hiver ?

Note de l’équipe VP : Les recommandations de Phil sont liées aux pratiques des apicultures américains. En plus de ces recommandations, nous conseillons l’utilisation de partitions chaudes, à placer de chaque côté à l’intérieur de la ruche, avec un isolant à placer sur le dessus. Plus la ruche est isolée, mieux c’est. Attention tout de même à garder une circulation d’air à l’intérieur (entrée de ruche ouverte et plateau du dessous en partie ouvert) pour éviter la condensation dans la ruche puis une humidité trop importante, pouvant résulter sur le développement de pathogènes responsables de maladies.

À l’exception de ceux qui vivent très au Nord des Etats-Unis, la plupart des apiculteurs ne ressentent pas le besoin d’isoler leurs ruches des climats froids. Et même là-haut, le plus souvent on enveloppe plutôt que d’isoler. Je conseille aux apiculteurs de toutes régions l’installation de protections anti-souris. Une ruche chaude et sèche est un refuge attrayant pour les souris. Au printemps, les apiculteurs qui ne prennent pas de précautions (et j’avoue en faire partie de temps en temps) peuvent s’attendre à trouver des nids de souris, des rayons endommagés, voire les souris elles-mêmes dans leurs ruches.

Les protections anti-souris, ou réducteurs d’entrée comme on les appelle également, consistent souvent en un bloc de bois que l’on positionne à l’entrée de la ruche. Il réduit l’entrée à un passage trop petit pour la tête d’une souris, et donc trop petit pour que les souris puissent y rentrer. Malheureusement, certains apiculteurs considèrent, à tort, que le but de ce réducteur d’entrée est de conserver la chaleur de la ruche en bloquant ou réduisant les courants d’air froid. En réalité, une bonne ventilation est tout aussi importante en hiver qu’en été. C’est pour cette raison que je préfère utiliser, quand je trouve le temps de m’en occuper, un anti-souris composé d’une lame métallique perforée qui bloque l’entrée aux souris sans compromettre la ventilation. Une colonie peut s’accommoder des basses températures, mais le froid humide généré par un manque de ventilation peut compromettre la tranquillité de la ruche.

Bien que l’abeille soit un animal à sang froid, et donc incapable de pratiquer la thermorégulation (c’est-à-dire qu’elle ne peut pas contrôler la température de son corps), collectivement, les abeilles utilisent une panoplie impressionnante de stratégies pour réguler la température à l’intérieur de la ruche. En été, elles dispersent de petites gouttes d’eau qu’elles éventent avec leurs ailes. Lorsque ces gouttes d’eau s’évaporent, ce changement d’état provoque une baisse de température, tout comme l’évaporation de la sueur rafraichit notre peau par temps chaud.

À l’approche de l’hiver, les abeilles calfeutrent toutes les fissures et ouvertures indésirables de la ruche (qu’il s’agisse d’un corps d’élevage ou d’un tronc creux) à l’aide de propolis produite à partir de résine et d’autres matières végétales. Tout apiculteur qui a déjà essayé de séparer deux éléments de ruche sait que la propolis est un mortier très efficace. Toutefois, c’est la grappe qui maintient la bonne température de la ruche en hiver. Lorsque la température intérieure atteint environs 18 °C, les abeilles se sont déjà regroupées afin de partager la chaleur de leur corps.

Au fur et à mesure que les températures baissent, la colonie se rassemble et la grappe se resserre. Pendant ce temps, certaines abeilles contractent les muscles de leur thorax pour produire de la chaleur, leur donnant l’air de voler sur place. Aux alentours de 12-13 °C, la grappe se compose d’un « manteau » d’abeilles s’activant sur place et d’un cœur où les abeilles peuvent se déplacer sur le rayon et se nourrir. Le manteau, une formation d’abeilles tournées vers l’intérieur, peut être constitué de plusieurs couches d’abeilles. Les ouvrières changent de position, passant du manteau au cœur, mais la reine reste toujours abritée au centre. De cette façon, par le biais de contractions musculaires, d’expansion et de concentration, et en augmentant ou réduisant le nombre d’abeilles dans le manteau, la colonie est capable de maintenir une température de 20 °C au sein de la grappe, même quand les températures extérieures sont inférieures à -18 °C. Épatant, non ?

Mais les abeilles ne génèrent pas que de la chaleur, elles respirent aussi, et produisent de l’humidité qui doit pouvoir s’échapper. J’aime utiliser l’analogie suivante : Le club de basket de l’Université locale joue dans un stade gigantesque qui peut accueillir plus de 24 000 personnes les soirs de match. Il y a environ deux ans, un article d’un journal local indiquait que la température extérieure devait descendre à 4 °C pour que le stade allume le chauffage. Tous ces corps serrés les uns contre les autres génèrent une chaleur importante. Toutefois, le stade doit faire fonctionner une ventilation pour éliminer l’humidité créée par toute cette transpiration et respiration humaines. Tout cela ressemble énormément à une grappe hivernale, sauf que les abeilles le font beaucoup plus efficacement, et n’ont pas besoin d’une bonne ligne de mire pour voir le match. Bien qu’elles ne transpirent pas, elles respirent, et cette respiration produit de l’humidité.

Les abeilles sont tout à fait capables de réchauffer l’intérieur d’une ruche en hiver, même à très basse température. Les apiculteurs débutants qui vivent dans les régions nordiques sont particulièrement susceptibles de s’inquiéter du froid, et leur réflexe est de calfeutrer toutes les ouvertures de leurs ruches, comme ils le feraient sur leur propre maison, afin d’éliminer les courants d’air. C’est super le chatterton ! C’est vrai, on ne veut pas que nos abeilles aient froid, mais on ne veut pas non plus qu’elles passent l’hiver dans une ruche humide. Vous avez chaud, vous, quand vous portez un pull mouillé ? Si une ruche est trop bien calfeutrée, l’humidité ne peut pas s’échapper. La condensation sur le couvre cadre en témoigne. J’imagine qu’on ne pense pas à l’humidité comme un problème hivernal parce-que nos systèmes de chauffage ont l’effet inverse sur nos maisons. Ils sèchent l’air au point de devoir parfois utiliser un humidificateur.

Si vous avez des doutes quant à la nécessité d’adapter vos ruches au climat hivernal de votre région, demandez à vos voisins apiculteurs ce qu’ils font pour hiverner. S’ils les enveloppent, vous devriez sans doute en faire autant. Des housses pour ruches peuvent être achetées dans les magasins spécialisés, mais n’oubliez pas la ventilation. Même dans les climats très froids – prenez par exemple Fargo, dans le Dakota Nord – et même si elles sont enveloppées, les ruches ont besoin de ventilation. Lisez attentivement les instructions relatives à la ventilation qui accompagnent la housse. Certains apiculteurs amateurs (je ne connais pas de professionnels qui utilisent ce système) choisissent d’investir dans des ruches en polystyrène. Pour les autres, une protection anti-souris et une ventilation adéquate suffisent.

Certaines années, les pertes hivernales peuvent être très élevées, que vous viviez aux États-Unis, au Canada ou en France. En vous posant ces quelques questions de base et en vous préparant dès le printemps, vous pouvez les minimiser. J’espère que ces informations vous aideront à diminuer vos pertes, à maintenir des ruches vigoureuses et à élever des abeilles en bonne santé et prêtes pour la nouvelle saison !

Phil